Chaque semaine, Blussom vous propose une reco de pop culture coréenne. Et on commence par les salles obscures avec la sortie le 21 février dernier de Sleep, un film d’horreur divertissant et efficace, réalisé par Jason Yu. La nuit, personne ne vous entend crier…
“C'est le film d'horreur le plus unique que j'ai vu au cours des dix dernières années, et c'est un premier film intelligent.” Ces paroles dithyrambiques sont celles de Bong Joon-ho, le réalisateur sud-coréen oscarisé de Parasite, à propos de son ancien assistant-réalisateur, Jason Yu, avec lequel il avait travaillé sur Okja. L’apprenti a retenu les leçons du maître : utiliser le genre pour parler de sujets de société universels, comme la lutte des classes. Pour son premier film, Jason Yu utilise l’horreur pour explorer les challenges de la conjugalité.
Quelle est l’histoire de Sleep ?
Sleep (잠) suit la descente aux enfer de Hyeon-soo (Lee Sun-kyun) et Soo-jin (Jung Yu-mi), un couple heureux, jeunes mariés qui attendent leur premier enfant. Lui est un acteur en quête du rôle qui le fera sortir de l’ombre, et elle travaille dans le marketing et soutient la carrière de son mari. D’ailleurs, leur mantra de winners (quelque chose du genre “quand on veut, on peut”) est accroché au mur de leur appartement. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Mais du jour au lendemain, Hyeon-soo commence à souffrir de crises de somnambulisme de plus en plus inquiétantes.
Le couple met tout en œuvre pour remédier à ces crises : un spécialiste du sommeil les conseille et le bébé arrive bientôt. Mais les verrous, les gants de cuisine ou les “duvets-burritos” n’y changent pas grand-chose : la nuit tombée, Hyeon-soo semble une toute autre personne, aux pulsions violentes incontrôlables. Soo-jin prend sur elle et veut absolument tout faire pour aider son mari, mais avec l'arrivée du bébé et le manque de sommeil, la paranoïa s’installe.
Pourquoi c’est réussi
La métaphore des jeunes parents excédés de fatigue face à l’arrivée d’un premier enfant fonctionne à plein. Le film est porté par un excellent duo d'interprètes. Dans le rôle de la mère qui se prend toute la charge mentale à gérer et perd peu à peu pied, l’actrice Jung Yu-mi impressionne en nous livrant toute une palette d'émotions très diverses. Son partenaire, Lee Sun-kyun, possède la bonne dose de sympathie pour que le public reste de son côté et ait envie qu’il s’en sorte.
Et puis Sleep joue sur un registre comico-horrifique très maîtrisé. On frissonne et on se recroqueville dans nos sièges face à l’imprévisibilité du comportement de Hyeon-soo et à ce qui peut se passer la nuit, mais on rit aussi face à des moments surréalistes qui jouent sur le malaise. On n’est pas près d’oublier par exemple la séquence de la venue de la chamane dans l’appartement du couple !
Le final de Sleep aurait pu laisser une porte ouverte à l’interprétation (réaliste ou surnaturelle), mais il préfère apporter un dénouement clair et une raison à ces crises de somnambulisme, à laquelle on adhère ou pas ! Si le film marche aussi bien, c’est aussi parce que le sujet s’avère on ne peut plus réaliste et viscéral. Qui n’a pas connu une personne avec des problèmes de sommeil ? Qui n’a pas eu des coups de flips la nuit, ne serait-ce qu’enfant ?
Coup d’essai, coup de maître ! Pour son premier film, Jason Yu a marqué les esprits, notamment en France, où Sleep a été présenté au Festival de Cannes 2023 dans la catégorie “Semaine de la critique”, puis a remporté le Grand Prix du Festival du film fantastique de Gérardmer 2024. On suivra donc avec attention les prochains projets de ce cinéaste prometteur. En attendant, on vous conseille de vous précipiter dans les salles obscures pour découvrir Sleep.
Marion Olité